Adoption mongole

Nous avons passé la journée du 13 août à Tumorbulag, au sud de Mörön, à négocier pour obtenir un permis de pêche pour les rivières des environs. D'abord, le maire était d'accord avant que le préposé aux questions environnementales ne mît son véto. Au fil de la discussion, nous avons compris qu'un camp de pêche était installé à la confluence des principales rivières de cette commune (sum). Ce camp détient le monopole grâce à des pratiques peu reluisantes et, du coup, aucun permis sans participer à un séjour à ce camp n'est délivré. Ce voyagiste, auprès duquel nous nous sommes renseignés plusieurs jours plus tard, qui possède les droits pour cette région, pratique des tarifs prohibitifs, 350 CHF la journée et 250 pour un accompagnateur non-pêcheur (!). Finalement, en fin d'après-midi après de longues tractations, on nous autorisa à pêcher sans permis sur un mini tronçon de l'Idar, paumé dans les montagnes, bien loin du camp. La piste y menant était en bien piteux état par endroits mais traversait de somptueux paysages.


Première vue de la vallée de l'Idar

Dans la zone de pêche alouée, la rivière était très jolie mais les poissons n'étaient pas au rendez-vous. Nous nous sommes alors aventurés plus bas. Le semblant de piste se perdant, nous avons demandé à une ger (en mongol, yourte étant le nom russe peu apprécié) par où poursuivre. Le chef de famille nous montra où traverser et fit une reconnaissance dans l'eau avec Benj.


Evaluation du gué en question sur l'Idar

Bien que très tendus à cause des quelque 60 cm d'eau, nous avons fait confiance à ce local et tenté de traverser. Aux trois quarts, la faute à des galets plus gros fatigant le moteur, Benj a dû débrayer pour éviter de caler. Ensuite, impossible de continuer car l'embrayage patinait à cause de l'eau. La solution fut d'enclencher le réducteur de vitesses avec pour effet de réduire l'effort sur l'embrayage et d'ainsi pouvoir achever la traversée. Ouf, il s'en fallut de peu que nous ne restassions plantés dans la rivière! Installés plus bas de l'autre côté de l'Idar, les poissons ne furent toujours pas au rendez-vous.


Au bord de l'Idar

Nous avons été rejoints à notre lieu de camp par deux cavaliers mongoles avec lesquels nous avons partagé des fruits secs autour d'une conversation très sommaire au vu de nos connaissances limitées en mongol. Les fruits, même secs, sont un luxe en Mongolie car il n'en pousse quasiment pas. Le lendemain matin, au saut du lit, ils étaient déjà devant le bus à nous attendre pour nous inviter à prendre le petit-déjeuner à leur camp de gers. Pour nous y rendre, il fallut traverser une autre rivière, la Chulut, avec autant d'eau que dans l'Idar. Grâce à l'expérience de la veille, nous avons directement attaqué la traversée avec le réducteur et avons passé le gué comme une fleur sous l'oeil surpris des cavaliers qui voulaient du coup nous acheter Lucy pour une liasse de tugriks et des chevaux! Arrivés à leur camp, on nous a enjoints à entrer dans une première ger et servi du thé (en fait une sorte de lait chaud salé), une montagne de biscuits avec une sorte de beurre (öröm), des beignets à la viande (khuushuur) ainsi que des fromages secs (aaryyl), pas bons du tout. Néanmoins, nous avons mangé et bu de tout par politesse et parce que c'est la coutume.


Dans la première ger

Ils étaient nombreux, trois générations d'une famille, et très accueillants. C'était gênant, ils nous regardaient manger sans presque rien prendre. Nous avons beaucoup rigolé avec eux car ils nous trouvaient maigrichons et nous forçaient à manger. Ils étaient, eux, quasiment tous bien en chair. Ils nous ont ensuite fait monter tour à tour à cheval. Ca les fit beaucoup rire, ayant pensé au début que nous allions tomber.


Grande chevauchée!

Puis, on nous accueillit dans une autre ger et reservit la même chose avec une soupe en plus. Cette ger était plus joliment décorée et meublée que la première, plus récente, appartenant à un jeune couple avec deux enfants, offerte en cadeau de mariage comme le veut la tradition.


Dans la deuxième ger

Au moment de partir, ils nous demandaient déjà quand nous allions revenir. Ce serait avec plaisir, l'accueil a été très chaleureux et nous avons passé un très agréable moment malgré les difficultés linguistiques.


Jeunes cavalières

Dès le soir, nous avons commencé à être tous les deux malades, ce qui nous cloua deux jours sur place puis, très affaiblis, prit plusieurs jours à nous en remettre. Nous avons ensuite longé pendant quelques jours la Selenge que nous avons successivement traversée au moyen d'un bac datant d'une autre ère et d'un pont bien vétuste.


Modernité à la mongole


Vallée de la Selenge

Benj a pêché et attrapé enfin quelques truites de taille respectable.


Truites lenoks

Le matin où nous avions décidé de remettre le cap sur Mörön, nous nous sommes aperçus que nous avions un pneu crevé.


Toujours agréable de commencer la journée ainsi!

Après une réparation maison grâce à un kit, nous avons pu prendre la direction de cette grande ville du nord-ouest de la Mongolie et passer quelques jours dans ses environs. Nous avons fait le plein de victuailles et une mise à jour qui, avec la performance du wifi, nous a pris quasiment toute une journée. Obstinés, nous avons également tenté à nouveau d'obtenir un permis de pêche mais le résultat fut encore le même, un refus catégorique, avec toujours des mensonges à la clé. En sortant de l'hôtel de ville, le chiot auquel nous avions donné à boire et à manger à la pause de midi était toujours à côté du bus. Sans savoir vraiment qui avait choisi qui, nous avons décidé, en ce vendredi 22 août, de l'adopter et l'avons baptisée "Kawaï" (= mignon en japonais). Pure bâtarde comme tous les chiens errants de Mongolie, nous lui avons donné le qualificatif de "bouvier mongol" en raison de son allure et de ses pattes. Elle va devenir un gros chien. Cela restera sans doute la plus grande folie et le plus grand souvenir du voyage mais on ne vit qu'une fois et il faut en profiter, ce tour du monde en est un bel exemple. Il fut difficile de lui donner un âge précis, mais la petite boule de poils devait avoir approximativement deux mois à ce moment-là. Elle avait encore les yeux bleus et la démarche hésitante.


Kawaï après son adoption

Une visite basique chez la vétérinaire de la ville (qui s'occupe normalement du bétail) nous rassura sur son état de santé. Après un tour au marché pour acheter de la sangle au mètre pour lui bricoler un collier et une laisse, nous sommes allés au bord de la rivière coulant dans le coin, la Delgermörön, la baigner. Nécessaire, elle devait avoir trempé dans de la bouse ou s'être roulée dedans. Après ce supplice, ravie d'un bon repas, elle jouait et s'endormit déjà dans nos bras le soir-même et, dès la première nuit, réclama pour sortir, elle fut dès le début propre.


Première séance de jeu

Le lendemain, nous sommes restés sur place, à pêcher pour Benj et à faire plus ample connaissance avec notre nouvelle compagne de voyage.


Sur la Delgermörön


Maman de subtitution

Kawaï se voyait déjà en chien berger à observer les chèvres, parfois arboricoles, des environs.


Grande découverte

Puis, il fallut retourner à Mörön racheter de la viande. Les croquettes et les boîtes n'existant pas en Mongolie à part peut-être à la capitale. La séance shopping terminée, nous nous sommes dirigés au nord vers le lac Khövsgöl. Il s'agit du plus grand lac de Mongolie en terme de volume. Il est situé sur la même faille géologique que le lac Baïkal, quelques centaines de kilomètres plus au nord et, comme ce dernier, est très profond, avec par endroits 2000 mètres. En route, nous avons croisé un couple de Bernois voyageant avec leur chien dans leur minibus VW. Ils ont fondu pour Kawaï, comme beaucoup d'entre-vous.


Sandra & Markus

Nous avons établi le camp au bord du lac Erkhel, salé. Magnifique endroit aux couleurs contrastées mais que c'était venteux.


Erkhel Nuur

Nous sommes arrivés le jour suivant à Khatgal, un village très touristique à la pointe sud du lac Khövsgöl comportant de multiples camps de gers, semblant en cette fin de mois d'août presque désert, la saison touristique étant terminée. Nous avons essayé de nous renseigner à quelques camps sur le point de fermer au sujet du permis de frontière qu'il faudrait apparemment avoir pour s'éloigner du lac, une région proche de la Russie. Soit ils n'étaient pas au courant, les touristes restant aux abords directs du lac, soit on nous envoya le demander dans des villages plus éloignés.


Au loin Khatgal et ses camps de gers

Nous avons alors pris la direction des terrtoires à l'est du lac. La piste était vraiment en sale état et la progression fut lente.


Un passage pas trop mauvais!

A l'hôtel de ville de Tsagaan Uur, nous nous sommes renseignés pour un permis de pêche pour la région mais le préposé à la vente était soit-disant en vacances. Puis, les employés de la commune nous dirent qu'il fallait peut-être un permis de frontière qui devrait s'obtenir à la caserne. Une fois à cette dernière, les militaites nous répliquèrent que ça faisait déjà 50 kilomètres que nous aurions dû l'avoir et qu'il s'obtenait à Mörön. Nous leur avons expliqué qu'à Mörön et à Khatgal nous avions essayé mais qu'on nous avait dit soit qu'il n'était pas nécessaire, soit qu'il s'obtenait plus loin. Après qu'ils eurent contrôlé les passeports, jeté un rapide coup d'oeil à Lucy et trouvé Kawaï très mignonne, ils comprirent que nous n'étions que d'innocents touristes et le capitaine, un peu (beaucoup) bourré, nous donna l'autorisation verbale de parcourir la région. Ouf, les militaires mongols sont visiblement plus sympas que les trouffions russes (cf récit La Sibérie orientale). Nous avons, ensuite, passé deux jours au bord de la Uur que nous avons remontée. Ce fut l'occasion pour Benj de pêcher.



La Uur dans les environs de Tsagaan Uur

La saison des foins commençait et les bergeries étaient à mesure recouvertes de foin ramassé pour l'hiver. Bien que les tracteurs fassent progressivement leur apparition, il y a encore beaucoup de matériel d'un autre âge.


Stockage du foin


Celui-ci ne risque pas de caler au milieu du gué

Puis, nous avons décidé de descendre le long de cette rivière qu'il fallut dans ce but traverser. Le gué fut assez conséquent avec par endroits 60 cm d'eau et un passage qui ne s'effectuait pas en ligne droite mais de biais avec en tout une centaine de mètres à parcourir.


Joyeux gué


En descendant la Uur

Sur cette rivière, Benj attrapa un taïmen. C'est le poisson-phare convoité par les pêcheurs en Mongolie. Il appartient à la famille des salmonidés et peut atteindre des tailles records de plus de 1.5 mètres. Il se fait malheureusement de plus en plus rare. Pollution et surpêche pendant de longues années ont fait décliner les populations de ce poisson à la croissance lente. Inutile alors de préciser qu'il est retourné à l'eau.


Taïmen

Il attrapa aussi des lenoks de bonne taille.


Lenoks

La piste passait à proximité d'un monastère bouddhiste en bon état mais vide. Dommage, nous l'aurions bien visité. Pendant la tutelle soviétique, qui s'acheva lors de la chute de l'URSS, la quasi totalité des monastères furent dissous ou détruits, les moines exilés ou exécutés. Depuis l'indépendance de la Mongolie en 1992, ils sont petit à petit restaurés et reprennent du service.


Monastère Derkhiin

Pour pousuivre la boucle souhaitée afin de retourner à Mörön, la carte indiquait qu'il fallait retraverser la rivière mais, sur place, renseignements pris auprès des locaux, la traversée n'était possible que pour les piétons et les motos au moyen d'une barque.


Traversée impossible

Alors que nous cherchions quand même plus haut une alternative pour traverser, une jeep remplie de militaires et un cavalier sont arrivés. Après un rapide contrôle de nos passeports, ils nous montrèrent qu'il était possible de traverser. Le cavalier ayant reconnu le chemin, le filtre à air débranché et le tuyau d'admission mis le plus haut possible sur le moteur, la courroie du ventilateur détendue pour ne pas casser les pâles avec l'eau et un anorak mis sur le moteur, ils entreprirent la traversée précédés du cavalier. Le cheval avait de l'eau jusqu'au ventre et la jeep par-dessus le capot! De l'autre côté, ils durent ouvrir les portes pour évacuer l'eau qui s'était engouffrée. Nous avons regardé bouche bée cette scène et, courageux mais pas téméraires, avons renoncé à faire de même. Du coup, nous avons dû nous résoudre à faire demi-tour, ne voulant pas remplir le bus d'eau ou, pire, rester plantés. Ce n'était pas notre jour. Sur un tronçon qui avait déjà été critique à l'aller, nous nous sommes embourbés. Nul autre choix que de sortir les plaques de désensablage pour nous tirer de ce mauvais pas.


Il fallait bien une première plantée pendant ce voyage

Le plus difficile restait à venir... Le lendemain, de retour à Tsagaan Uur, il avait dû pleuvoir plus haut et le gué que nous avions traversé quelques jours auparavant avait 20 ou 30 centimètres d'eau en plus. Voyant une jeep qui avait réussi le passage, nous nous sommes convaincus que nous allions y parvenir, sans n'avoir vraiment le choix, et Lucy s'est presque métamorphosée en bateau!


Notre éclaireur et il n'est pas encore au point le plus profond

Tant bien que mal nous avons regagné l'autre rive, soulagés. La vague est remontée jusqu'au pare-brise. Après toutes ces difficultés, entre pistes fort dégradées, gués profonds et la boue, et beaucoup d'émotions mais ravis des beaux paysages découverts, nous étions de retour à Mörön le 1er septembre. Notre petite protégée s'est bien habituée à sa nouvelle vie de nomade dans sa niche à roulettes. Elle a beaucoup aimé les soirées au coin du feu à dormir dans nos bras.


Vie de chien



Suite au prochain épisode! Environs de Zlatoust, Oural, Russie, le 09.10.2014